Un conte Igbo du Nigéria

Raconté par Nwokeke UGOCHUKWU

Une fois dans une ville un homme et sa femme ont eu une très jolie fille. Si vous l'aviez vue ! Elle brillait : zaa ! Ses dents étaient d'une blancheur ! Ses yeux luisaient comme la lune. Quand elle a eu grandi, elle dansait mieux que toutes les filles de son âge, Elle faisait tout mieux que ses camarades. Quand elle est arrivée à l'âge de se marier, tous les fils de rois sont venus, un par un. Le premier garçon, un vaillant guerrier, s'est présenté : elle l'a refusé. Un lutteur est venu : elle l'a refusé. Un gros fermier est venu : elle l'a refusé. Un malafoutier [l'homme qui récolte le vin de palme] s'est présenté : elle l'a refusé. Un commerçant est venu : elle l'a refusé. Elle refusait tous les prétendants. Cela fâchait sa mère. La jeune fille a finalement déclaré qu'elle n'épouserait qu'un homme très bien vêtu, tout en continuant de refuser tous ceux qui venaient la chercher.

Alors un poisson s'est dit qu'il allait l'épouser. Et lui, qui vivait dans l'océan, a emprunté de très beaux vêtements, les a mis et s'est dit :

- Allons-y !

Troid autres poissons se sont bien habillés, comme s'habillaient les jeunes gens, et sont partis avec lui

Quand ils sont passés, la jeune fille a bondi dehors :

- Eh ! j'ai vu mon mari ! C'est lui que je vais épouser !

Tour le monde dans la cour s'est mis à parler et à faire des commentaires. La mère de la jeune fille lui a dit :

- Est-ce que tu as demandé qui c'était ? Est-ce que tu as...

Elle lui a coupé la parole :

- Non ! C'est celui-là que je vais épouser !

- C'est celui là ! Rendez-vous compte : des poissons !...

Le nom de cette jeune fille, c'était Onwuelo. Les poissons qui étaient venus l'épouser, c'étaient le gymnarque [peut peser jusqu'à 18kg], le silure, l'anguille et un autre poisson. Quand ils sont revenus la fois d'après, ils étaient toujours ensemble, et les gens de la famille ont demandé à la jeune fille :

- Lequel vas-tu épouser ?

Elle répondu :

- N'importe lequel d'entre eux !

Mais c'était le gymnarque qui voulait l'épouser. Ils ont commencé à parler de la dot et à faire les préparatifs du mariage. Les poissons ont exprimé le désir qu'on coupe court aux palabres et que le mariage soit célébré ce même jour. La jeune fille était au comble du bonheur et s'est mise à faire un paquet de ses vêtements et de tout ce qui lui appartenait, disant qu'elle allait suivre son mari le jour même, qu'elle ne voulait pas qu'on continue les palabres trois ou quatre jours comme on le faisait d'habitude, qu'elle voulait le suivre le soir même, qu'elle avait assez attendu.

Ils ont fini les palabres, et elle les a suivis.

Mais ces poissons habitent au fond de l'océan... Elle les a suivis, ils ont marché longtemps. Ils ont dépassé toutes les villes où vivaient les hommes. Ceux qui avaient accompagné la jeune fille jusque-là lui ont dit au revoir. Ils ont dépassé le territoire des hommes et sont allés dans la brousse. La jeune fille regardait autour d'elle avec étonnement. Quand elle a vu qu'ils s'approchaient de l'océan, elle a commencé à avoir peur. Elle ne savait plus que faire. Ils sont arrivés au bord de l'eau. Les vagues venaient se briser sur la grève avec un grand bruit : waa... waa... waa... Les petits poissons dans l'eau sautaient de joie en voyant revenir les leurs. La jeune fille a demandé :

- Où est-ce que nous allons ?

Un des petits poissons lui a répondu en chantant :

Onwuelo, rentre chez toi,

Shamara !

Onwuelo, rentre chez toi,

Shamara !

Nous habitons au fond,

Shamara !

Nous habitons dans l'eau

Shamara !

Tu as vu le beau Gymnarque ?

C'est un poisson,

Shamara !

Tu as vu le silure, cet athlète ?

C'est un poisson,

Shamara !

Tu as vu l'anguille qui frétille ?

C'est un poisson,

Shamara !

Ils hochent la tête

Shamara !

Ils hochent la tête

Shamara

J'ai dit le conte et n'ai plus rien à dire,

Shamara ! Shamara ! Shamara !

Il avait à peine fini qu'un des poissons près de la jeune fille a plongé dans l'eau. Il n'en restait plus que trois. Eux et la jeune fille restaient là, à regarder l'océan. Un second petit poisson a sauté hors de l'eau et s'est mis à chanter :

Onwuelo, rentre chez toi,

Shamara !

Onwuelo, rentre chez toi,

Shamara !

etc.

Un autre a plongé dans l'eau, dans l'eau profonde ? C'était le milieu de la nuit. Les vagues bruissaient : waa... waa... waa... Il ne restait plus que qu'Onwuelo, le silure et le gymnarque. Tous les deux lui ont dit :

- La fille, tu ne rentres pas chez toi ? Ce qui t'est arrivé, c'est ce qui arrive aux filles qui rejettent les prétendants. Nous avons voulu te montrer qu'il n'est pas bon de rejeter les prétendants.

Pendant qu'ils parlaient, un autre petit poisson s'est mis à chanter, très vite :

Onwuelo, rentre chez toi,

Shamara !

Onwuelo, rentre chez toi,

Shamara !

etc.

Le gymnarque a plongé dans l'eau. Il faisait nuit noire. Au bord de l'océan, il n'y avait plus qu'elle ! elle ne savait que faire : sa ville était très loin, elle avait peur, très peur des ténèbres ! Elle a commencé à revenir sur ses pas. Arrivée sous un arbre, elle s'est arrêtée et s'est couchée en se disant :

- S'il doit m'arriver quelque chose, que ça m'arrive !

Elle s'est endormie. Le matin , elle ne savait plus le chemin à suivre pour rentrer.

Pendant ce temps-là sa mère était partie chez un féticheur pour savoir si sa fille avait fait bonne route. Le féticheur lui a dit qu'il était arrivé malheur à sa fille et qu'il fallait que les jeunes gens aillent la chercher pour tenter de la ramener : ceux qui étaient venus l'épouser étaient des poissons qui avaient plongé dans l'eau en l'abandonnant. Les jeunes gens sont partis et l'ont trouvée couchée sous l'arbre, épuisée, affamée.

On l'a ramenée.

C'est pourquoi il n'est pas bon pour les filles de trop rejeter les prétendants.

Françoise Ugochukwu, Contes Igbo du Nigéria, Karthaka, 1992,