Pour ce second été covidé, nous avons choisi de rester en France, celle des paysages, les musées nous étant interdits.

C'est comme cela que nous nous sommes retrouvés aux sources du Doubs.

Catastrophe ! On y a tué le mystère. Un parc bien aménagé, avec restaurants covido protégés. Le touriste n'est pas dépaysé. Il se retrouve masqué d'un bleu aigue-marine dans un paysage de verdure connu, reconnu, partout identique. Des allées pour les poussettes, cependant assez larges pour contenir tout un car de touristes amoureux de la nature Des pelouses denses et rasées de près. Des arbres bien choisis. Bien plantés, espacés. Le Doubs lui-même est complètement perdu totalement domestiqué.

Mais ce n'est pas le pire. La Vouivre a été renvoyée, comme les hommes-médecine, dans les temps de l'obscurantisme « heureusement révolus » dit-on pour se rassurer.

Rien n'existe qui ne soit pas photographiable avec son téléphone portable pour être twitté ou envoyé sur faceBook.

Pourtant j'avais déjà bivouaqué dans cette forêt.


On disait alors que les nuits sans lune, parfois, la colline du Noirmont disparaissait. Elle n'était en effet que le corps de la Vouivre assoupie. On pouvait alors sentir une ombre gigantesque volant au-dessus de la campagne. Lorsque cette masse volante était précédée d'une lumière braquée comme une torche. Les femmes faisaient bien vite rentrer les enfants et se barricadaient dans leur ferme.

On disait que la Vouivre partait en chasse et qu'elle pouvait dévorer tout humain mâle qui se serait aventuré dans l'obscurité. Des jeunes hommes avaient mystérieusement disparu dans la alentours de Mouthe, le village voisin, des témoins l'ont longtemps attesté.

On disait aussi que la Vouivre était capable de se métamorphoser. Son visage n'avait pas d'yeux, mais son corps pouvait être celui d'une jeune fille très belle, d'une beauté surhumaine. Certains pensaient qu'elle appartenait au genre des sirènes et que son corps était prolongé par une forme de queue de poisson. Mais qui pouvait se vanter de l'avoir réellement vue ?

À sa source, le Doubs sort d'une grotte. Son eau est limpide. Parfois un peu de mousse, lorsque la femme poisson bat les eaux avec sa queue.

On dit aussi que le Doubs se double d'une rivière souterraine qui rejoint la surface par une série de siphons, la rendant particulièrement dangereuse, comme le savent tous les moniteurs de kayak.

On ne sait pas combien de jeunes hommes ne sont pas revenus après s'être aventurés la nuit du côté des sources du Doubs. Ils se cachaient au-dessus de la grotte pour observer le bain de la Vouivre. La paroi était glissante et, imprudents, ils étaient alors attirés vers les eaux et disparaissaient, comme absorbés par les flots. À moins qu'ils n'aient été dévorés comme le prétend une version de la légende.

Son visage n'avait pas d'yeux mais sur son front elle portait une escarboucle composée de pierres précieuses, de grenats rouges, qui lui permettait à la fois de voir et d'éclairer loin devant elle, comme un phare.

C'est là que commence véritablement mon histoire.

Un jeune meunier crève misère, vivant au bief un peu plus en aval, avait déjà observé la scène. Cette jeune femme, d'une grande beauté se baignait nue. Mais avant d'entrer dans les eaux, elle déposait sur un rocher, toujours le même, à l'entrée de la grotte, son escarboucle, de peur de la perdre. La lumière des étoiles lui était suffisante pour qu'elle puisse se baigner.

Mais ce n'est pas l'amour qui motivait ce jeune meunier mais le gain possible. « Si je vends à la ville ces pierres précieuses j'en tirerai bon prix, de quoi nourrir ma famille jusqu'à la fin de mes jours ».

Alors il prépare son stratagème. Il se saisit du cuveau dans lequel sa femme faisait sa lessive, la faisant hurler de colère. Il part à Mouthe acheter de grands clous et il se met à les planter à l'intérieur de cette sorte de barrique afin qu'ils en traversent les lattes de bois. En place de couvercle il prépare une vitre très épaisse, incassable.

Le soir venu il part avec son cuveau, se cache dans l'ombre de la grotte. Et lorsque la Vouivre descend se baigner comme à son habitude, il se saisit de l'escarboucle et s'enferme bien vite à l'intérieur de sa forteresse de fortune.

Ce sont des hurlement qui déchirent la nuit. La vouivre se blesse sur les clous, se saisit de grosses branches. Elle frappe sans parvenir à faire sortir le voleur. Désespérée, au lever du jour, elle doit vite rejoindre son repère que personne n'a jamais su réellement me montrer.

Chaque nuit, prêtant l'oreille, on entend ses gémissements à peine couverts par le concert de la chute d'eau.

Pendant que le meunier se décide enfin à partir négocier ses pierres précieuses, sa femme accouche. L'enfant ne sortait pas, 9 mois et demi, pensez donc ! Et voilà que la sage femme pousse un cri d'effroi. Elle vient de sortir un monstre vert, avec de grandes oreilles de chat.

Au même moment, à Pontarlier sans doute, le meunier fait tomber de sa précieuse bourse en cuir de vache, chez le négociant, des feuilles rabougries de foyard.

Mais chacun et chacune y allant de son commentaire, je n'ai jamais pu savoir ce qu'était devenue l'escarboucle. Ceux qui savent ne parlent pas.

Ainsi se termine cette histoire que je ne peux pas achever.

En effet certaines personnes âgées disent entendre parfois des gémissements dans la nuit. D'autres m'ont dit que le journal localier de temps à autre fait état de disparitions inexpliquées dans les eaux du Doubs. Mais tout le monde semble avoir oublié la famille du meunier.

D'après plusieurs versions recueillies, avec un intérêt tout particulier pour celle de la spécialiste Édith Montelle.

Mm


Le conteur espère des illustrations pour oraliser et transformer ce conte en vidéo.